Ce mois-ci, on embarque pour un voyage à travers les siècles, les continents… et même les fonds marins. Attachez vos ceintures, le papier nous emmène loin !
Novembre… On ne va pas se mentir, c’est quand même un mois un peu déprimant. Il fait froid, il pleut, la nuit tombe à 16h30, et à part l’arrivée de la butternut, il n’y a pas grand-chose de réjouissant.
Alors j’ai décidé d’apporter un peu de couleurs et de légèreté dans vos boîtes mail : on part en voyage autour du monde à la découverte du papier marbré.
Le papier marbré, c’est un peu le papier méditatif par excellence. Ces lignes dansantes, hypnotiques, rappellent les jardins zen : regarder un motif de marbré, c’est presque une séance de méditation.
Mais comment naît cette magie ? Petit point technique.
Techniquement, c’est simple à expliquer mais long à maîtriser : on dépose des pigments colorés à la surface d’un bain liquide, puis on joue avec eux — à l’aide d’un peigne, d’une aiguille, ou même d’un souffle — avant de poser délicatement la feuille de papier pour capturer le dessin.
Résultat : chaque feuille est unique, littéralement impossible à reproduire à l’identique. Un art entre maîtrise et hasard.
Un petit tour du monde marbré
Première escale au pays du Soleil Levant, le Japon, là où on retrouve les toutes premières traces du suminagashi, littéralement « encre qui flotte ».
Apparu au XIIᵉ siècle, il consiste à laisser tomber des encres à la surface d’une eau très pure, puis à les déplacer doucement, parfois simplement avec le souffle.
Les motifs obtenus sont tout en délicatesse, souvent monochromes, parfois à peine teintés. Une poésie minimaliste à la japonaise.
Suminagashi extrait d'un livre de poésie ©japanesepaperplace.com
Suminagashi sur papier de riz ©flextiles
Deuxième escale : la Turquie ! Bienvenue dans l’univers de l’ebru, « l’art des nuages » (je trouve cela très poétique !). La technique diffère par l’utilisation d’une eau épaissie (la size) grâce à une gomme végétale (ou aujourd’hui du carraghénane, extrait d’algues rouges). Cela permet aux pigments de mieux tenir à la surface et de créer des dessins précis : fleurs, arabesques, calligraphies…
L’ebru est un art codifié et hautement symbolique dans le monde islamique, et c’est lui qui inspirera plus tard toute la marbrure européenne.
Ebru Sanatının Tarihçesi ©verasanat.com
Maître ebru Tuzin Tiryaki ©baytalfann.com
Dernière étape à notre voyage : l’Europe. Les Italiens et les Français découvrent la marbrure à partir du XVIᵉ siècle et l’adaptent aux besoins du livre et de la reliure (vous voyez, on y revient toujours, aux livres !).
En Italie, notamment à Florence, les artisans développent les styles « peigné » et « œil de paon » (ou peacock), riches en mouvement et en couleurs. L’atelier Giannini & Figlio, encore en activité aujourd’hui, perpétue cette tradition. Florence reste aujourd’hui la capitale mondiale du marbré artisanal.
Motif peacock de l'atelier Giulio Giannini ©Giulio Giannini
A journal of a voyage to the South Seas, in his Majesty’s ship the Endeavour, 1784, ©Te Papa
Côté français, la technique s’impose sous Louis XIII, grâce au relieur du roi, Macé Ruette, qui l’introduit à la cour. Les ateliers français se distinguent vite par leurs teintes plus sobres et raffinées (fonds crème, filets bruns, bleus doux) parfaitement assorties aux reliures en cuir.
C’est la naissance du « marbré à la française » : élégant, discret, et un brin aristocratique.
Le "chic" à la française ©theparismarket.com
Fun fact : le papier marbré a aussi servi de système anti-fraude pour les billets de banque ! Chaque billet était découpé dans une feuille marbrée, séparée en deux : une moitié restait à la banque, l’autre partait dans la nature. En cas de doute, il suffisait de rapprocher les deux morceaux — si les motifs se raccordaient parfaitement, le billet était vrai. L’ancêtre du QR code, version papier artisanal !
Moucheté (spot) : petites taches rondes dispersées aléatoirement.
Peigné (combed) : lignes ondoyantes très graphiques.
Œil de paon (peacock) : cercles concentriques rappelant la plume du paon.
Bouffant (Stormont) : effets de tourbillons et de veines orageuses.
Le papier marbré, c’est un savoir-faire ancestral et toujours vivant, mélange de patience, de hasard et de beauté. Si le sujet vous intrigue, il existe plein de stages d’initiation pour créer vos propres feuilles (et c’est terriblement satisfaisant à faire !) > regarder ici
Souvenez-vous du numéro précédent sur le papier dominoté ?
Eh bien, tenez-vous bien : le lendemain de l’envoi, ma plus grande fan (aka ma maman d’amour) me répond :
Mais pourquoi tu ne m’as pas dit avant que tu faisais ton numéro sur le dominoté ? Ton arrière-grand-père était dominotier ! Il a même gagné le concours de Meilleur Ouvrier de France !
... Pardon ?
Alors déjà, fierté absolue. Et puis ce petit vertige de me dire que, sans le savoir, je partage une passion familiale pour le papier, même si c’est sous une forme différente. Comme quoi, les fibres, c’est héréditaire ;)
Voici le rouleau en buis qui lui a permis de remporter le concours.
On est alors au tout début de la mécanisation de la fabrication des rouleaux de papier peint. Il n’est plus tout jeune, mais quel travail d’orfèvre ! Tout le motif est entièrement dessiné à la main : les parties noires que vous voyez sont des pièces métalliques fixées une à une, petit bout par petit bout, pour obtenir la finesse exigée par le dessin. Et une fois ce travail titanesque terminé, il fallait encore appliquer les couleurs… et refaire un rouleau pour chaque teinte. Rien que ça !
Schéma qui permet de mieux comprendre à quoi sert le rouleau en buis réalisé par mon arrière-grand-père.
La médaille du Meilleur Ouvrier de France <3
Pour la première fois, on parle exposition !
L’origamiste de génie Junior Fritz Jacquet investit le pavillon Vendôme à Clichy (92) après été exposé à Salzbourg, San Diego ou encore Tokyo. Il y présente L’Odyssée de Léa, une exposition immersive avec 5 salles différentes ! Raies mantas, méduses, bancs de poissons, grottes abyssales… tout un monde marin entièrement plié dans une seule feuille, sans collage ni découpe. Oui, oui, une seule feuille.
L’exposition est gratuite et visible jusqu’au 10 janvier 2026.
©Sortiraparis.com
©Sortiraparis.com
©Sortiraparis.com
J’espère que ce numéro vous aura fait voyagé et qu’il vous aura plu ! N’hésitez pas à m’écrire si vous souhaitez que j’aborde un sujet en particulier ou simplement parler papier :)
A bientôt,
Livrement vôtre,
Isalyne