Le Tétris de l'imprimeur : l'imposition

Cette semaine, on joue à Tétris version imprimeur, on plie des pages dans tous les sens… et je vous raconte une petite histoire tout à fait hilarante… avec du recul.

Dos Carré Collé
4 min ⋅ 18/04/2025

Bien le bonjour à vous amoureux, amoureuse du papier !

J’espère que vous tenez le cap malgré le climat pas fou fou de ces derniers mois… Allez, on coupe de l’actu et on plonge ensemble dans les coulisses de la fabrication. Et pour alléger tout ça dans ce quatrième numéro : une anecdote qui me fait rire maintenant (mais sur le moment, j’ai cru ma carrière terminée)…

Si vous me lisez depuis le début, vous m’avez déjà entendu parler de « cahiers » d’impression. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on n’imprime pas un livre page par page, comme avec une imprimante de bureau. Non non. On imprime par cahiers — c’est-à-dire par grandes feuilles pliées qui regroupent plusieurs pages à la fois.

L’imprimeur possède des machines spécifiques de tailles variées. Par exemple, une taille de machine courante c’est la 120×160. Elle peut donc imprimer sur une feuille de 1m 20 x 1m 60. Oui, c’est énorme. Une fois imprimée, la feuille est pliée, découpée et hop : voilà un cahier. Assemblez plusieurs cahiers, et vous avez un livre.

Mais venons-en au nerf de la guerre : l’imposition.

Non, ce n’est pas une sanction divine ni un impôt caché sur les livres. C’est en réalité l’art de placer les pages d’un document dans un ordre très précis sur une grande feuille pour que une fois pliée… tout se retrouve dans le bon sens et au bon endroit.

À savoir : Un livre ne peut pas avoir un nombre de pages impair. Les paginations courantes sont souvent des multiples de 16 ou 32. Même les petits fascicules suivent cette règle (un minimum de 4 pages par cahier).

Exemple de feuille d’impression, ici en cahier de 16 pages. 8 au recto/8 au verso.

Sur le papier (haha), ça a l’air simple dit comme ça, mais c’est en réalité une des étapes les plus cruciales du processus d’impression. Une mauvaise imposition, c’est un livre qui démarre au chapitre 9, revient au 2, saute au 14 à l’envers… Bref, un cauchemar (sauf si c’est un livre dont vous êtes le héros, et encore).

🔍 Mais ma bonne dame, comment les imprimeurs arrivent à mettre les cahiers dans l’ordre au moment de l’assemblage ? Et bien très chers lecteurs, ils ont bien évidemment un truc :

– Certains utilisent des codes-barres qui disparaissent à la découpe.
– D’autres marquent les dos des cahiers avec (accrochez-vous bien pour celui-là, interro au numéro 8 de la newsletter 😂) des repères de collationnement* (rectangles noirs sur le dos du cahier). Ce qui permet, visuellement, de repérer immédiatement s’il y a un souci dans la séquence.

*Merci à mon fabuleux Bobineau, meilleur fabricant, pour son rappel de ce mot. *Merci à mon fabuleux Bobineau, meilleur fabricant, pour son rappel de ce mot.

🧠 Et aujourd’hui, on fait ça à la main ?

Pas vraiment. Des logiciels spécialisés s’occupent de l’imposition (merci la tech), mais il faut toujours une bonne dose d’expertise humaine derrière : sens du papier, marges, fonds perdus, pagination finale… Rien n’est laissé au hasard et tout est contrôlé derrière.

En résumé : l’imposition, c’est la chorégraphie secrète de tout ouvrage imprimé : invisible une fois le livre entre vos mains, mais indispensable pour que tout soit ordonné :)

Vous l’attendiez, la voici ! Anecdote qui date de 2014 👵

Dans ma lointaine jeunesse, j’ai fait mon apprentissage pendant deux ans aux éditions J’ai lu. Le rythme d’alternance était une semaine en entreprise, une semaine à l’école. J’étais suffisamment rodée pour qu’on me confie des projets en solo sans vérification derrière... (vous sentez déjà venir le drame, n’est-ce pas ?)

Un jour de fin de semaine, une grosse vague de réimpressions SF débarque. Genre vingt titres à la chaîne. Mon rôle : mettre à jour les pages liminaires (les premières pages du livre avec bio de l’auteur et/ou les livres déjà parus de cet même auteur à date, parfois une nouvelle maquette, etc.). Pour aller plus vite, je prépare tous les fichiers avant mon retour en entreprise. Organisation 10/10.
Sauf que.

Dans L’Assassin Royal de Robin Hobb, une carte est normalement insérée dans les premières pages. Ce jour-là, impossible de remettre la main sur le fichier. Pas grave, je me dis : "Je le ferai plus tard." Et dans mon fichier, j’écris une note pour moi-même : « Carte six duchés attention ».

Sauf que.
Je suis revenue la semaine d’après, j’ai finalisé les bons de commande à envoyer à l’imprimeur… et j’ai complètement zappé cette note. L’imprimeur, qui ne parle pas français, n’a pas fait attention et c’est normal. Résultat ? 2000 exemplaires imprimés avec "Carte six duchés attention" bien en évidence dans le bouquin. Aucun royaume à explorer, juste une mention bien sèche.

Ma tête en ouvrant les exemplaires témoins ? Une œuvre d’art tragique. J’étais déjà en train d’envisager ma reconversion comme bergère dans le Larzac. Grillée. Fichue. Finie.

Heureusement, mon responsable a été incroyable. Il m’a regardée avec un petit sourire en coin (je pense qu’il se retenait de rire), et m’a simplement dit : "Bon… oui, c’est une belle boulette. Mais ça arrive."

On a quand même dû pilonner tout le tirage (pilonner en jargon éditeur = destruction de tous les livres…), puis tout réimprimer. 2000 exemplaires partis en fumée. Littéralement.

Depuis, je peux vous dire que plus aucune note ne reste planquée dans un fichier. Jamais.
Je ne veux plus de massacre papier sur ma conscience.

Aujourd’hui, on parle pépite avec la somptueuse collection des Classiques Illustrés signée Minalima, publiée chez Flammarion Jeunesse en France → tous les titres dispos ici.

Je suis ultra fan de cette collection qui flirte carrément avec l’univers du livre-objet. Les couvertures sont dingues : dorure, gaufrage, ça brille, ça claque, bref, c’est beau. Et à l’intérieur, ambiance vintage à souhait avec de grandes lettrines élégantes, comme à la grande époque. Un vrai bijou à feuilleter (et à sniffer, mais ça reste entre nous).

Mais ce qui fait vraiment la différence, ce sont les fac-similés glissés à l’intérieur : des petits trésors à découvrir au fil des pages — une carte, une lettre, un plan… Collés directement dans le livre, comme si tu fouillais dans les tiroirs secrets d’un personnage.

Et voilà, c’est la fin de ce quatrième numéro ! Un peu tard aujourd’hui, certes, mais c’est aussi ça la magie de la newsletter : on la lit quand on veut, sans pression.

Je vous souhaite un excellent week-end de Pâques — parce qu’on ne va pas se mentir, les lundis fériés, c’est la vie. 😄

Livrement vôtre,

Isalyne

Rappel des précédents numéros :
1- La reliure
2- Le calage
3- La différence entre papier offset et couché

Dos Carré Collé

Dos Carré Collé

Par Sayne Venel

À propos de l’autrice de Dos Carré Collé …

Fabricante depuis 10 ans dans l’édition dans des secteurs très variés, littérature, scolaire, BD, manga, je vous partage mon expérience (mes succès et gros fail !) en espérant vous embarquer avec moi dans ce très bel univers !

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